Ce matin, en montant les marches de la sortie de métro Invalides, le bruit d'une semelle qui frotte sur les marches me ramène soudainement dans ma cour d'école de CM1.
J'ai 9 ans.
Les filles jouent à l'élastique dans la cour.
En sautant, les pieds les plus habiles rentrent légèrement en dedans, la bride métallique de la boucle de nos chaussures faire un petit bruit particulier.
Ce bruit que j'aime entendre quand j'aide Chouiny à boucler ses babies.
L'année précédente, une nouvelle élève est arrivée dans la classe. Elle est vraiment mignonne, écrit très joliment et réussit parfaitement en classe. Elise Boibien. L'été du CM1, elle partira découvrir les marais salants et m'enverra en souvenir de ses vacances une carte postale. De marais salants.
A la rentrée, elle revient extraordinairement bronzée. Je m'imagine alors toute une histoire sur la réverbération des marais salants et pense au soleil éclatant qui a dû illuminer ses vacances.
La même année j'apprends donc ce que sont les marais salants, je découvre le groupe Santana dont notre Maître d'école nous joue des morceaux à la guitare, j'apprends le mot sérigraphie, je découvre aussi la peinture sur soie.
Je crois pendant longtemps, à cause du Maître d'école, que le verbe "frôler" n'existe pas parce qu'il le dit quand nous venons nous plaindre qu'untel nous a frôlé à la balle au prisonnier. "Frôler ça n'existe pas".
Je me souviens du soleil dans notre cour de grève et des limites tracées au pieds.
Je me souviens de l'anxiété que je portais devant les petites interrogations sur des choses qui me semblaient faciles mais que je loupais parce que le Maître avait dit avant que nous ne commencions "attention, il y a des pièges", du coup, craignant partout le piège, j'inversais mes réponses qui devenaient alors fausses.
Je me souviens de résultats trouvés comme intuitivement, ce à quoi le Maître ne croyait pas.
Je me souviens des promenades pédagogiques dans les chemins de notre campagne, que je vivais comme une expédition, la joie de sortir de l'école pour aller reconnaître des feuilles de chêne, des glands, des feuilles de peuplier.
L'année des correspondants, d'abord Charline Portron de Charentes Maritimes l'année du CM1, chez qui j'étais allée passer quelques jours et qui m'avait offert un foulard en mousseline rose fluo, puis Batiste Véga de Vy-lès-Lure, l'année du CM2, qui m'a appris le mot "asthmatique".
Je me souviens des fêtes du cidre où nous allions avec nos parents un dimanche de septembre, de la Sainte Catherine et du froid qui nous saisissait quand nous déambulions entre les étales de linges, bonbons et autres pommes d'amour. Les auto-tamponneuses.
La phrase que nous apprenions à décomposer en classe, sous la forme d'une maison à plusieurs branches.
Le complément circonstanciel que je trouvais léger de circonstance et toujours si facile à identifier. Celui dont on pouvait se passer ou le déplacer sans altérer le sens de la phrase.
Les divisions et les retenues. La fête de Noël dans la classe en CM2 lors de laquelle nous avions eu le droit de danser. Le sweat gris que j'ai dû porter un milliard de fois et que j'aimais tellement. Mon sac d'école à franges, Yolaine, Robert, Hervé, Bruno, Angélique, Damien, Géraldine et son frère dont les parents ont divorcé l'année du CM2. Sébastien et son frère Yannick, l'hiver et ses congères dans lesquelles nous nous asseyions sur le bord de la route qui nous conduisait à l'arrêt des cars.
Et le bruit si particulier d'une semelle sur la marche ... Je me souviens ...