Lundi, quand nous nous sommes vus, vous
m'avez demandé s'il m'arrivait d'être triste.
J'ai répondu que la perspective de perdre un
être cher était ce qui me rendait le plus triste.
Puis, je vous ai exposé mon avis sur la vie,
rien de moins, et ce cadeau qu'elle représentait à mes yeux. La vie. Ce cadeau
que m'ont fait mes parents.
En vérité et comme je le fais toujours, j'avais chassé de ma mémoire ces atrocités commises dans le monde qui portent le nom de terrorisme. J'avais chassé de mes entrailles cette crainte d'être emportée par un souffle dans le métro au milieu d'autres qui ne sont pas les miens.
En vérité, la peine qui m'emporte quand de
tels actes sont commis, rigolant à la barbe de la liberté dont nous chérissons
le nom et de l'insouciance qui nous fait marcher comme sur un nuage, cette
Peine, me plonge dans une tristesse sans fond ni fin.
Pour autant, cette génération, qui ne sait pas si elle rentrera
chez elle le soir, cette génération et sa relève, comme d’autres l’ont fait
avant, force le trait de la vie.
On a les armes qu'on peut.
En parlant d’armes, vous m’avez fait, pendant
notre entrevue, cadeau de cette citation de Dostoïevski, tirée de l’Idiot :
« C’est la
beauté qui sauvera le monde ».
Je dois dire que je n’ai d’abord vu dans
cette phrase que la notion d’espoir dont elle me semblait être porteuse. Instinctivement,
l’idée du Beau inspire en moi la lueur d’un mieux. Vision simpliste livrée lors
d’un échange de coin de table, que vous avez accueillie avec politesse, je vous
en remercie…
J’ai voulu savoir à quel point j’avais été
limitée dans mon analyse de coin de table...
C’est Fiodor, un homme belge (il est des
coïncidences …) auteur d’un article sur internet qui a fait chauffer mes
synapses.
J’ai donc appris (pourtant j’avais lu l’Idiot,
« quand j’étais une enfant »
…) qu’ « Hippolyte Terentiev, un
jeune homme tuberculeux, révolté et pathétique» avait prononcé cette phrase en
s’adressant « au prince Mychkine, le héros principal du roman
[l’Idiot donc]» qui « voue un amour plein de compassion à la belle et
douloureuse Nastassia Filippovna » un « amour pur et respectueux
[qui] contraste fortement avec la passion destructrice que Rogojine, autre
héros du livre, éprouve pour la même Nastassia (…) « Mais Mychkine –
«idiot» aux yeux des hommes, parce qu’il voit le monde avec un regard
d’empathie et d’innocence – a compris que cette beauté est blessée, qu’elle est
en attente d’une rédemption, d’un accomplissement. Devant un portrait de
Nastassia, Mychkine s’écrie: «Ah, si elle
avait de la bonté, tout serait sauvé!».
Voici qui a alors étoffé nettement mon approche de
coin de table…
La beauté est donc inséparable de la bonté :
« Celui qui fait quelque chose de bien, écrit Fiodor, fait en même temps quelque chose de beau »
il ajoute dans son analyse que « La beauté qui sauve est la beauté de
Dieu, en qui vérité, bonté et beauté se confondent ».
Plus loin, Fiodor enrichit son analyse d’un
propos tenu par le Pape Benoît XVI dans un discours qu’il adresse aux
artistes : «La beauté authentique ouvre le cœur humain à la nostalgie, au
désir profond de connaître, d’aimer, d’aller vers l’Autre, vers ce qui est
au-delà de soi(…)»…
C'était donc tout cela que voulait signifier
Dostoïevski en faisant poser cette question par l’un de ses personnages «C’est
la beauté qui sauvera le monde »…
Après avoir compris cela (j’ai dû lire et
relire l’analyse pour être certaine de ne pas rester plantée dans mon analyse
de coin de table) et parce que le lendemain de notre rencontre Jean-Jacques,
des attentats ont eu lieu en Belgique, je me suis sentie peut être mieux armée
pour affronter cette peine immense et reprendre espoir.
Bien évidemment il me démange de vous redire,
les gars, que le Dieu qui nourrit votre
combat, bande de lâches, est un Dieu qui n’existe pas. D’autres l’ont inventé
comme un prétexte pour servir une cause dont vous êtes les explosifs de chair
et d’os.
La Beauté est la Bonté. Qu’avez-vous fait de
votre enfance, à quel moment la Beauté a cessé de vous servir de guide et
d’espoir ?
Je tiens donc à enrichir la réponse que je
vous ai faite lundi Jean-Jacques : oui il m’arrive d’être triste et cela
me submerge plus ou moins, mais il me semble, grâce à ce cadeau de la Vie que
m’ont fait mes Parents, en le ficelant visiblement avec assez d’espoir et de
foi, parvenir à remplir un certain « réservoir » qui doit être mon
cœur, toujours suffisamment pour éteindre cette tristesse quand elle pourrait me
noyer et altérer mon jugement quant à la nature humaine.
La Beauté est mon espoir et mes enfants en
sont l’étoffe.
Merci à vous, Jean-Jacques, de m’offrir de
votre temps pour des bavardages qui semblent anodins mais qui comme vos dessins
ouvre mes yeux sur le vaste genre humain.
Enfin, pour donner à cette lettre une note plus
légère, j’avais envie de dire à mes lectrices que vous aviez joué pour moi lundi ce
morceau au piano de Satin Doll, de Duke Ellington … Mais enfin, si je leur disais, elles
trembleraient de jalousie, je ne leur en
parle donc pas… (mais c’était extraordinaire …) Merci.
A très bientôt Jean-Jacques (oui ce Jean-Jacques là, Sempé) .
Le Vrai, le Beau, le Bien. Tout est lié.
RépondreSupprimeret quelques heureuses coïncidences ;-)
SupprimerAh, merci pour ce si beau texte ! (sur la beauté du monde il y a un très beau texte de Simone Weil que je vais essayer de retrouver). Et belles fêtes de Pâques pour toi et ta famille.
RépondreSupprimerje suis, bien entendu, preneuse pour le texte de Simone Weil ! Bon we de Pâques à toi aussi !!
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